Accueil du site

LA DEMEURE ENDORMIE

 

par Cécile REVERDY

 

  Ce n'est ni une maison bleue accrochée à une colline,
ni un symbole puissant de nos civilisations, visé par les haines jaillissant de notre histoire.
  Juste un mythe, égratigné par le temps, perdu dans la multitude.
  Ce nest pas une péniche, cela y ressemble : les bâtiments à l'arrière, le parc, cale verte, à l'avant .
  C'est un domaine : une maison et cinq hectares de parc dans le Val d'Oise.

  La maison est en sommeil, tournée vers son passé. Il semble qu'elle ne peut oublier la nostalgie de sa dernière occupante.
  Elle rêve et ressasse des moments merveilleux : un génie l'habita, peu de temps.
  Le temps du vertige.
  A l'intérieur les planchers craquent, comme un corps qui refuse le réveil.
  Certaines pièces résonnent de mots si justes qu'ils ont, alchimistes, transformés les esprits.
  Les belles cheminées sont muettes.
  Des panneaux de contre-plaqué remplacent le verre des fenêtres, matière trop fragile pour traverser ce long moment d'abandon.
  Il reste la cuisine, il se pourrait qu'elle soit le salut de cette demeure, elle en a la stature : dimensions généreuses, lumineuse, restée blanche malgré le silence.

  Accolées au bâtiment principal, la remise et sa cave apporteraient le soutien à long terme pour arriver à l'éveil, vers un nouvel avenir.

  Le parc n'a pu sombrer dans la détresse, l'Oise si proche, constamment le titille, il participe aux plans, aux remises en cause, aux ajustements dont elle et ses alentours ont fait l'objet depuis quarante ans.
  Il n'a rien perdu de sa forme : une belle prairie, un jardin d'arbres, un ancien potager et sa serre, il a l'air immuable et heureux d¹une poule qui couve, gardien de l'endormie.

  Ce domaine était une annexe du Clos Levallois, grosse demeure bourgeoise du XIXe siècle, devenue un centre d'accueil pour enfants handicapés.
  Il a été construit sur un ancien péage : on traversait l'Oise à cet endroit.
  Les noms de rues l'attestent, le chemin du Bac de Gency et le chemin du Port de Gency se croisent devant notre maison.
 L'activité intense d'alors a disparu, elle s'est écartée de la rivière.

  Seule une promenade peut vous mener ici.
  Vous partirez du nouveau quartier du Port de Cergy, vous longerez la rivière par la rue Pierre Vogler, passant derrière l'église, vous dépasserez le stade.
  Puis vous prendrez le chemin du Port de Gency, le long des murs de propriétés frileuses, accompagné par des aboiements de chiens.
  Vous croiserez peut-être un coureur surpris que vous ayez découvert son parcours.
  Et vous arriverez face au portail, un grand portail en fer forgé.
  Des plots de béton empêchent de garer les voitures le long des murs, il y a donc des jours d'affluence.
  Sur la gauche l'espace de l'ancien port et de chaque côté, coincé entre l'eau et les demeures, un chemin galope, étroit, glissant.
 Après un temps, vous partirez.
Vous monterez le chemin du Bac longeant les bâtisses, en haut après avoir tourné sur ce chemin large, presque royal, vous verrez enfin le Parc.

 Ce domaine a eu une existence particulière mais il appartient à la souche, aux racines de cette énorme agglomération qu'est Cergy-Pontoise.
 Il y avait un collier de trois rangs ; premier rang la boucle de l'Oise ; deuxième rang cinq perles, cinq villages, Eragny, Cergy, Vauréal, Jouy-le-Moutier, Neuville ; le dernier rang, un rang de collines boisées. Derrière un immense plateau agricole.
 Paris étouffait, l'Etat décide de construire une ville nouvelle. En quarante ans, irradiant des villages, sur le plateau, une ville pousse, plus grosse que Paris.
 Cette ville a besoin d'attaches fortes au passé, château de Neuville, église de Jouy-le-Moutier, centre de Vauréal, église de Cergy-Village et ... cette maison avec laquelle je vous tourmente.
 Je vous tourmente parce que Cergy n'a pas trouvé comment la dire :
la maison de Gérard Philipe.

 Connaissez-vous Gérard Philipe ? L'enfant prodigue du théâtre français.
 Il fut enterré dans ses habits de scène.
 Cergy ne le voit pas mourir, il part dès qu'il apprend la maladie qui l'emporte.
 Anne Philipe et ses deux enfants reviendront seuls. Ce n'est pas un conte.
 Au Théâtre National Populaire, le soir de sa mort, Jean Vilar dit : « Que le silence soit pour un temps encore le témoignage de notre deuil », un silence après le rêve.
 Il est temps de réveiller l'endormie.

Cécile REVERDY (Janvier 2002)

(c) 2002 Cécile Reverdy - Tous droits réservés

Publié gracieusement par Virtedit avec l'accord de l'auteur

 

Pour en savoir plus :

Maison du patrimoine
6, place de l'Eglise
95 000 Cergy
Tel : 01 30 32 07 13

e-mail : maisondupatrimoine@ville-cergy.fr

Ecrire à l'auteur : Cliquer pour envoyer un message
cecile.reverdy@wanadoo.fr

Accueil du site